Lors de notre dernier BrainShower, nous avons eu l’honneur et le plaisir d’accueillir Rachid Lamrabat comme orateur invité. Pendant un peu plus d’une heure et demie, il nous a ouvert les portes d’un monde que nous, qui sommes nés et avons grandi en Belgique, méconnaissions jusqu’alors. Ces propos étaient très intéressants, mais aussi un peu dérangeants. En effet, Rachid s’est systématiquement exprimé en s’appuyant sur son propre univers et en adoptant le point de vue de sa culture ; nous en avons fait de même en nous basant sur nos propres repères. Car, alors que nous pensons que les immigrants d’autres cultures sont très difficilement admis dans notre quotidien, leur point de vue est nettement différent.
Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Rachid Lamrabat est un spécialiste du marketing, plus précisément un spécialiste de l’ethnomarketing. Ses origines marocaines lui ont permis d’identifier clairement les besoins de groupes sociaux d’origine ethnique différente, et il a décidé qu’il était temps que la situation change. Auparavant, il a travaillé au sein du service d’intégration civique de l’administration flamande. Aujourd’hui, il est à la tête de sa propre agence d’études de marché et de communication appelée Tiqah, qui aide de grandes marques telles que Colruyt, Devos Lemmens et bien d’autres à toucher précisément ces groupes ethniques cibles que les autres marques ne parviennent pas à atteindre.
La réalité sociale
Saviez-vous que 70% des Bruxellois sont d’origine étrangère ? Et que ce pourcentage et 44% à Anvers ? Le taux de natalité moyen étant de 3,1 enfants dans les familles étrangères contre 1,5 enfant dans les familles belges, cela implique logiquement une augmentation proportionnelle du nombre de personnes d’origine ethnique différente dans le futur. Il y a la réalité sociale, mais aussi la réalité économique : un marché potentiel de 2 milliards d’euros rien que pour la viande halal.(1)
En même temps, nous, spécialistes du marketing, sommes convaincus d’être sur la bonne voie, à savoir d’atteindre nos groupes cibles et d’être capables de convaincre les gens d’acheter ce que nous voulons qu’ils achètent. Mais est-ce le cas ? Touchons-nous vraiment la grande majorité des Belges d’une manière ou d’une autre ? Selon les musulmans, par exemple, ce n’est absolument pas le cas. Toutefois, ces nouveaux Belges sont en tout cas disposés à être considérés et traités comme des consommateurs à part entière. Alors, pourquoi est-ce si difficile pour nous ?
Où le marketing doit débuter
Les marques et les spécialistes du marketing doivent redoubler d’efforts pour comprendre les personnes de cultures différentes. Si vous faites preuve de compréhension, que vous adoptez donc un positionnement ouvert et libre de préjugés et que vous parlez avec des gens, vous parviendrez à mieux toucher cette communauté allochtone par votre communication. Rachid nous cite ensuite quelques exemples du quotidien.
La commodité d’un autre point de vue
Rachid explique qu’en matière d’achats alimentaires, il est très difficile pour des personnes d’une autre culture de se procurer des plats préparés. Pour nous, les plats préparés riment avec facilité d’achat et repas pris sur le pouce. Ce n’est certainement pas le cas des personnes qui sont de culture marocaine ou turque plus traditionnelle. Les repas tout préparés et autres n’ont absolument pas leur place dans ces cultures. Pouvoir faire toutes ses courses dans un seul et même magasin représente un idéal pour cette communauté.
Rachid explique que les magasins de proximité sont les seuls lieux où les étrangers peuvent se procurer des aliments ou quantités spécifiques à leur culture. Et même si c’est le cas, ils ne trouvent pas tout dans un même magasin, ce qui leur prend beaucoup de temps. C’est inimaginable pour nous, mais c’est la réalité vécue par d’autres.
Prenons l’exemple d’un paquet de sucre. Alors qu’il nous faut parfois plusieurs années avant de venir à bout d’un paquet de sucre de 1 kg, cette quantité est beaucoup trop réduite pour les étrangers. Il leur en faut généralement plus parce qu’ils adorent en consommer beaucoup. Ils aimeraient donc pouvoir se procurer ce produit en plus grandes quantités, ce qui n’est pas possible dans nos supermarchés.
Et la mode?
Nos marques de mode ne parviennent pas non plus très bien à toucher les allochtones en Belgique. Comment cela se fait-il ? Alors que nous, Belges, aimons nous faire remarquer avec nos nouveaux vêtements tendance, c’est tout à fait le contraire pour la communauté musulmane, qui aime les vêtements discrets. Et il ne doit pas forcément s’agir de jupes longues. On ne peut toutefois pas qualifier la majorité de notre offre de vêtements de discrète et modeste.
Et c’est ainsi que bon nombre d’opportunités restent inexploitées. C’est le cas de l’Aïd el-Kebir et l’Aïd el-Fitr, deux fêtes typiquement célébrées par la communauté musulmane. Pourquoi n’y a-t-il pas de communication au sujet de ces fêtes ? Il s’agit cependant de périodes auxquelles les musulmans dépensent beaucoup plus. Ces fêtes sont à la communauté musulmane ce que Noël et Saint-Nicolas sont à notre culture. Alors que, nous, nous sommes incapables d’imaginer la période des fêtes sans musique ambiante de Noël, sans décorations dans les rues et sans une foulée de promotions de fin d’année, l’Aïd el-Kebir et l’Aïd el-Fitr passent pratiquement inaperçus.
Ethnomarketing bien fait
Je tiens tout de même à dire cependant que l’attention qu’un détaillant porte à ces cultures doit être sincère. Une communication ponctuelle pendant le ramadan ne va pas soudainement attirer toute une catégorie de consommateurs musulmans dans son magasin, car ces derniers sont aussi conscients du fait que cette promotion ne procède pas d’un intérêt sincère, mais plutôt d’une recherche ponctuelle de profit.
De plus, l’ethnomarketing n’est pas qu’une question de communication ; il revêt plusieurs facettes. C’est aussi une question d’offre, de prix, d’environnement commercial et de politique du personnel, par exemple. On pense trop souvent de façon cloisonnée. Ainsi, une action ne doit pas toujours se focaliser exclusivement sur le marché ethnique. Les plats végétariens sont aussi halal, et les foulards sont aussi des voiles, par exemple.
Le mieux, pour un détaillant, est de s’y atteler progressivement, sans le crier sur tous les toits. S’il apporte de petits changements délibérés, il y parviendra. Quand la communauté musulmane s’en rendra compte, la nouvelle se répandra comme une traînée de poudre. Parce que c’est de cette manière que cela fonctionne dans cette communauté : le bouche-à-oreille est une publicité crédible et précieuse. Et une fois ce stade atteint, tout peut aller vite.
Écrit par Peggy Storme – Junior Marketing Consultant
(1)Source: Lambrabat, R. (2017). Etnomarketing
Atteignez-vous tous vos groupes cibles potentiels ?